Les Festivals de films Palestinien et Israélien, un laboratoire des relations judéo-musulmanes à Strasbourg
by Lalia Schmitt – University of Strasbourg
Un des points d’entrée pour analyser les relations et perceptions mutuelles entre juifs et musulmans à Strasbourg a été d’observer deux Festivals de films, Palestinien (octobre 2021) puis Israélien (juin 2022), organisés dans un cinéma d’art et d’essai. Les pouvoirs locaux ont soutenu les deux évènements : l’Eurométropole de Strasbourg pour les deux festivals, la préfecture du Bas-Rhin pour le premier et le Conseil départemental du Bas-Rhin, la région Grand-Est et la Direction régionale des affaires culturelles pour le second.
Plusieurs associations sont aussi partenaires du Festival du film Palestinien : la Cimade (association de soutien politique aux réfugiés, migrants et déplacés, protestante), CCFD-Terre Solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement) et l’Association France Palestine Solidarité Alsace. L’association organisatrice est le Collectif judéo-arabe citoyen pour la Palestine (CJACP), crée en 2004, qui dénonce la politique de colonisation et d’apartheid d’Israël à l’égard des Palestiniens et a participé à des opérations de boycott. On constate donc l’orientation politique de cette association comme de deux des trois partenaires.
En revanche pour le Festival du film Israélien, les partenaires sont des institutions confessionnelles. Il s’agit du Consistoire israélite du Bas-Rhin ainsi que de Radio Judaïca, liée au Consistoire tout en faisant une place à des voix plus libérales et occasionnellement non-juives.
Lors des différentes projections de ces deux festivals, l’assistance varie d’une cinquantaine à une centaine de personnes, majoritairement composée de personnes blanches et âgées. Lors du Festival Palestinien quelques personnes, présentes à chaque projection, portent un keffieh ; quelques signes religieux musulmans sont visibles lors d’une séance. Lors du Festival Israélien, environ 10% du public porte des signes religieux visibles : casquettes ou kippot, bonnets en crochet ou perruques. Dans les deux festivals, aucune personne n’est visiblement de l’autre religion.
L’analyse de ces festivals met en lumière trois points. D’abord, ces observations sont représentatives de la relative faiblesse des relations formelles entre les deux groupes. En effet dans les deux cas le public était visiblement homogène. De plus, aucun représentant du dialogue bilatéral n’était présent. L’évènement n’a pas été relayé sur les réseaux sociaux de l’autre groupe, malgré l’opportunité de dialogue.
Le deuxième point est le soutien significatif des pouvoir locaux (ville, département et région) pour les deux festivals. Bien qu’aucune personne les représentant n’ait été présente, cela montre l’intérêt porté par les collectivités territoriales aux initiatives concernant les relations judéo-musulmanes. Cet intérêt peut être analysé comme une volonté politique d’apaisement des relations entre ces deux groupes. Une volonté également observable de manière récurrente pendant les festivals, de la part du public et des organisateurs.
En effet, et c’est le troisième point, on observe un constant évitement de la question interreligieuse. La dimension politique et non religieuse du conflit est invariablement mise en avant. Najwa Najjar, réalisatrice palestinienne affirme : « Mon problème avec la religion c’est qu’elle n’est pas un problème. Ainsi dans tous mes films j’essaye de montrer que nous avons un problème national, pas un problème religieux ». Cette insistance sur la dimension politique passe aussi par le « devoir » d’utiliser le terme Palestinien comme le souligne la réalisatrice : « Je m’excuse pour la vigilance de nous appeler Palestiniens et non pas Arabes car le discours habituel est que la Palestine n’existe pas. Donc c’est important d’entendre les histoires des Palestiniens ». Parallèlement, on observe une volonté, également politique, de montrer le quotidien de la vie palestinienne. Le but est de s’éloigner de l’exceptionnalité et de la sensationnalisation liée à ce territoire, notamment en raison de la très forte médiatisation du conflit israélo-palestinien. Un autre réalisateur, Ameen Nayfeh, justifie ses choix cinématographiques de la façon suivante : « Je me suis rendu compte que les images de l’occupation étaient sur-utilisées. Donc j’ai décidé de me concentrer sur la vie quotidienne des Palestiniens. L’important est de montrer les émotions, comment nous nous ressentons ». Raphaël, membre du CJACP, fait quant à lui remarquer : « La question politique est certes insérée dans tous les aspects de la vie, mais malgré tout, les gens vivent leur vie normalement et complètement ». Cette volonté de montrer la vie quotidienne va de pair avec le fait qu’aucune personne juive n’est explicitement visible dans les films palestiniens présentés. Cependant Israël est omniprésent, en tant qu’État colonial et ennemi invisible, par la quantité d’hors champs présents dans les films.
Dans le Festival du film Israélien, l’évitement des relations judéo-musulmanes, et israélo-palestinienne, passe également par une politisation du sujet. Aucune mention du conflit n’est faite, le but étant de montrer la « réalité » des vies en Israël, comme l’explique un spectateur : « Ce film est important parce qu’il montre quelque chose à l’intérieur d’Israël – parce qu’on a l’habitude de voir ce qui se passe entre les Israéliens et les Palestiniens – mais on oublie qu’il y a autre chose ». Cette « autre chose » ressort d’un positionnement politique, qui peut porter sur les relations intra-religieuses au sein de la société israélienne. Le débat qui suit la projection du film Mizrahim : les oubliés de la Terre promise en est un exemple. Ce film met en lumière l’histoire des familles juives d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient qui ont migré en Israël et les discriminations subies jusqu’à aujourd’hui. Lors du débat la tension est palpable. Des personnes du public expriment leur désaccord avec la réalisatrice Michale Boganim quant à son « parti pris ». Pour se défendre, elle finit par affirmer avec émotion : « C’est un fait ! C’est la réalité ». Un autre exemple emblématique est la critique du judaïsme majoritaire à travers le récit de vies de personnes juives originaires d’Éthiopie qui ont subi une assimilation forcée au judaïsme israélien, orthodoxe, lors de leur arrivée en Israël.
Le volet politique est donc extrêmement présent dans les deux festivals, même s’il se manifeste à travers des focales très différentes. L’évitement du facteur religieux au profit d’une attention à la « réalité » quotidienne de ces deux univers est également un point commun de ces deux évènements.